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La justice pénale négociée a le vent en poupe !

Publié le

Par Louis GADDI, Avocat au barreau des Hauts-De-Seine

Puisque d’après Honoré de Balzac, « un mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès », la loi du 9 décembre 2016 dite loi « Sapin II » est venue doter la procédure pénale française d’un instrument de justice pénale négociée inspiré des systèmes juridiques anglo-saxons.

Le 18 février dernier, le tribunal judiciaire du Puy en Velay a validé la seconde convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) en matière environnementale conclue entre le Vice-procureur de la République du Puy-en-Velay et le GAEC des BEAUDOR.

Cette nouvelle CJIP, nous donne l’occasion de revenir sur cet instrument de justice pénale négociée à destination des personnes morales qui a le vent en poupe, pas moins de 5 conventions ayant été signées au cours de l’année 2021.

La CJIP, sorte de plaider coupable des personnes morales, équivalent du deferred prosecution agreement (DPA), permet, sous réserve de reconnaissance des faits, à la personne morale coopérante de négocier sa peine.

Contrairement à son pendant pour les personnes physiques, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), la CJIP ne prévoit pas de reconnaissance de culpabilité, seulement une reconnaissance des faits.

Elle entraîne pour la personne morale l’extinction de l’action publique à condition cependant d’indemniser les victimes et de mettre en place un programme de conformité.

Initialement prévue pour des faits recouvrant la qualification pénale de corruption, de trafic d’influence et de blanchiment de certaines infractions de fraude fiscale, son attrait est tel qu’elle a été étendue aux fraudes fiscales (Loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la fraude fiscale) puis aux délits environnementaux (Loi n°2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée).

Particulièrement adaptée aux contentieux techniques ou occultes, cette justice négociée s’est retrouvée sous le feu des critiques dès sa création mais est devenue la référence en matière d’alternative aux poursuites des personnes morales.

1. La CJIP sous le feu des critiques

À peine incorporée dans notre système juridique, cet outil perfectible recevait les foudres de nombreux acteurs.

a. La CJIP critiquée dès sa création par les acteurs luttant contre la corruption

À peine entrée en vigueur, la CJIP subissait les foudres du syndicat de la magistrature et d’ONG engagées dans la lutte contre la corruption qui considéraient que cette justice négociée « permettrait aux fraudeurs d’acheter leur innocence » (Le Monde, 17 septembre 2018, Tribune – Non à une justice négociée qui « permettrait aux fraudeurs d’acheter leur innocence »).

Selon eux, elle créerait une justice à deux vitesses en offrant aux délinquants en col blanc, un outil permettant d’échapper aux conséquences d’une condamnation, auquel n’ont pas accès les délinquants de droit commun.

Si cette position peut se comprendre, il est important de souligner que la CJIP ne s’adresse qu’aux personnes morales et que les personnes physiques ayant participé à ces infractions restent soumises à la procédure pénale de droit commun.

En outre, pour ses pourfendeurs, cette mesure tirée des systèmes juridiques de Common law, risquait, en l’absence de contradiction et de débat public, de faire perdre à la justice sa valeur d’exemplarité.

Si cette crainte pouvait se comprendre lorsque la CJIP n’était qu’au stade embryonnaire, elle est aujourd’hui dissipée par la réalité pratique.

D’une part, la CJIP doit être validée par un juge lors d’une audience d’homologation accessible au public.

D’autre part, publiées d’abord sur le site de l’AFA, puis sur les sites du ministère de la justice, les CJIP conclues par les différents parquets bénéficient d’un fort retentissement médiatique, en témoignent les nombreux articles de presse, relatifs à la convention conclue entre Airbus et le PNF.

À cet égard, les magistrats constatent (Union Syndicale des Magistrats, Bilan et perspectives de la convention judiciaire d’intérêt public, 8 juin 2020) un renforcement de la réponse pénale française concernant les faits d’atteinte à la probité et de fraude fiscale, au regard notamment des montants significatifs des amendes prononcées dans le cadre des CJIP, apaisant ainsi les craintes d'une dépénalisation du droit des affaires.

b. Les insuffisances de la CJIP  

La CJIP, qui impose une immense confiance entre les acteurs impliqués présente tout de même des insuffisances.

Tout d’abord, en imposant aux personnes morales en cause une coopération totale et spontanée, impliquant notamment la mise en place d’investigations interne, la CJIP fait peser un aléa important sur la personne morale révélant les faits délictueux.

En effet, en pratique, la personne morale « accepte d’ouvrir ses archives et ses dossiers et […] aide [le parquet] à identifier, assez rapidement, les domaines litigieux relatifs à son passé. Elle doit […] confier [au parquet] les documents et données utiles et [l’]aide à les exploiter » (Le Club des juristes, CJIP de la loi Sapin II : Premier bilan d’un changement de paradigme de la justice pénale, 11 mars 2020).

Or, le Ministère public conserve l’opportunité de poursuivre la personne morale, auteur de la révélation, devant les juridictions répressives et d’exploiter les faits révélés par celle-ci.

En outre, elle présente un côté schizophrénique lorsque les dirigeants peuvent être personnellement impliqués, les personnes physiques ne pouvant être partie à cette transaction. Or, les dirigeants impliqués peuvent n’avoir aucun d’intérêt à révéler des faits permettant de personnellement les incriminer.

La CJIP conclue avec la société BOLLORE en est un parfait exemple, en ce que les dirigeants qui ont participé à la révélation des faits se sont vus refusés l’homologation d’une CRPC par le Président du tribunal judiciaire de Paris, lequel, souhaitait soumettre les faits à un procès correctionnel public (Brunelle, Lachassagne, Brihi et Bousquet, L’affaire Bolloré ou les limites d’une justice pénale négociée, Dalloz-actualités, 23 mars 2021).

Aussi, il pourrait être pertinent de lier la CJIP à la validation des CRPC des dirigeants auteurs de la révélation des faits, tel que proposé par les députés GAUVAIN et MARLEIX (Rapport d’information de la Commission des lois, sur l’évaluation de l’impact de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 », déposé le 4 octobre 1958, n°4325, proposition n°26) ou de légiférer afin que la CJIP puisse inclure le sort des dirigeants personnes physiques.

2. La CJIP, un instrument particulièrement attractif

La CJIP présente malgré tout de nombreux avantages, tant pour la société française, que pour la personne morale bénéficiaire, laquelle, rappelons-le, fait également partie de cette société.

Du côté de la personne morale, cette convention, ayant l’autorité de la chose jugée une fois homologuée, permet d’éviter l’aléa judiciaire sans déclaration de culpabilité. L’extinction de l’action publique permet notamment d’éviter des poursuites à l’étrangers.

Ainsi, sans déclaration de culpabilité, la personne morale mise en cause est protégée des conséquences économiques en cascade liées à une condamnation en matière d’atteinte à la probité, telle que l’interdiction automatique de soumissionner aux marchés publics.

Du côté de l’État et de la société dans son ensemble, les bienfaits sont légion.

a. La CJIP au service de la peine

La peine remplit trois fonctions : une fonction d'expiation, une fonction d'intimidation et une fonction de réadaptation ou d'amendement du délinquant.

Tout d’abord, la fonction d’expiation est remplie, puisque la CJIP permet le paiement d’amendes mirobolantes, largement supérieures à celles habituellement prononcées par les juridictions répressives.  La société Airbus a par exemple conclu le versement au Trésor public d‘une amende d’intérêt public de 2,1 milliards d’euros (Convention judiciaire d’intérêt public conclue entre le procureur de la République financier près le tribunal judiciaire de paris et la société Airbus SE, 29 janv. 2020).

Ensuite, plus contrastée, la fonction d’intimidation l’est toute autant puisque les CJIP, qui doivent être homologuées par le Président du Tribunal, sont publiées sur le site du ministère de la justice.

Enfin, c’est sur la fonction de réadaptation du délinquant que la CJIP coche le plus de cases.

En premier lieu, la CJIP implique une reconnaissance préalable des faits et une coopération de la personne morale et de ses dirigeants dans la manifestation de la vérité.

À cet effet, l’AFA et le PNF rappellent que la « coopération de la personne morale aux investigations judiciaires dont elle est l’objet constitue un préalable nécessaire à la conclusion de la CJIP » (AFA-PNF, Lignes directrices sur la mise en œuvre de la convention judiciaire d’intérêt public, 26 juin 2019).

En deuxième lieu, chaque CJIP prévoit la mise en œuvre d’un programme de conformité, supervisé par une autorité, qui, s’il n’est pas respecté, permet la reprise des poursuites. Cette obligation, au combien plus efficace qu’une simple condamnation par les juridictions répressives, permet d’assurer un réel suivi de la remédiation aux mauvaises pratiques.

Par exemple, le GAEC des BEAUDOR dispose, sous la supervision du ministère de l’environnement, de 30 mois pour se mettre en conformité.

En dernier lieu, la CJIP n’oublie pas les victimes puisque son bénéficiaire a l’obligation de les indemniser.

b. La CJIP, un instrument pragmatique au service de la procédure pénale

Véritable outil de désengorgement, la CJIP permet de décharger les tribunaux d’un contentieux particulièrement technique, notamment du contentieux fiscal qui nécessite des compétences dans la matière fiscale, exigeant notamment la pleine compréhension des montages souvent très complexes.

Elle permet de soulager les juridictions engorgées, en assurant une répression rapide et efficace des délinquants financiers, permettant ainsi le respect des engagements de la France en matière de droit à un procès équitable (CESDH, art. 6 § 1 ).

En outre, la CJIP soulage également les juridictions d’instruction, en imposant aux personnes morales de participer elles-mêmes, par des investigations internes, à la recherche des auteurs personnes physiques, évitant par là même leur saisine par les autorités de poursuite.

À titre surabondant, la CJIP qui permet de préserver la souveraineté de notre système judiciaire, permet d’accroitre la coopération du parquet avec les autorités étrangères. Parfaite illustration de cette coopération, les négociations de la CJIP Airbus ont été réalisées conjointement avec les autorités britanniques et américaines.

Le développement de cette justice pénale négociée, exigeant une profonde confiance entre les acteurs de la justice, en France et à l’étranger, incite à un renforcement continue du dialogue entre avocats et magistrats.