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Loi pour la confiance dans l’institution judiciaire : il n’y a pas de petit secret (d’avocat)

Par Benoît Le Dévédec

Publié le

Jeudi 18 novembre 2021, le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire a été définitivement adopté au Sénat. Au crépuscule du quinquennat du président Emmanuel Macron, cette loi portée par le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti (et qui portera sans doute son nom), sera la trace qu’il laissera de son passage à la Chancellerie. Si l’enjeu était donc important, c’est un euphémisme de dire que les mesures effectivement votées ne semblent pas à la hauteur des espoirs suscités par la nomination du ténor du Barreau.

Les thèmes embrassés par cette réforme sont multiples. De la très médiatique question de l’enregistrement et de la diffusion des audiences jusqu’à la médiation préalable obligatoire, en passant par l’encadrement des enquêtes préliminaires, la limitation du recours à la détention provisoire par la promotion du bracelet électronique, le travail des personnes détenues, la création d’un pôle national pour les crimes en série, ou encore la possibilité de recourir à une révision judiciaire lorsqu’une condamnation a été prononcée après des aveux recueillis à la suite de violences exercées par les enquêteurs (amendement taillé sur mesure pour l’affaire Mis et Thiennot de 1947). Surtout, l’ancien avocat pénaliste était attendu et critiqué, notamment par les robes noires, sur trois chantiers sensibles : la généralisation des cours criminelles départementales, la suppression du crédit de réduction de peine, ainsi que l’épineux sujet du secret professionnel des avocats.

Sur ce dernier point, le ministre de la justice a fait face à une fronde de ses anciens confrères. L’article 3 du projet est présenté comme un compromis en ce qu’il permet de consacrer le secret professionnel de l’avocat, tant dans ses missions de défense que de conseil, tout en prévoyant des exceptions à l’inviolabilité de ce secret. Plus précisément, un nouvel article 56-1-2 du Code de procédure pénale disposera désormais qu’en matière de conseil (et non pour la défense), dans les affaires de fraudes fiscales, de corruption ou de financement de terrorisme, le secret ne sera pas opposable aux mesures d’enquête ou d’instruction lorsque « les consultations,  correspondances ou pièces détenues ou transmises par l’avocat ou son client  établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter  la commission desdites infractions ». Mais ce qui a surtout crispé les avocats, c’est le second point de ce nouvel article selon lequel ce secret n’était pas non plus opposable « lorsque l’avocat a fait l’objet de manœuvres ou actions aux fins de permettre, de  façon  non  intentionnelle,  la  commission  ou,  la  poursuite  ou  la  dissimulation  d’une  infraction ». Hautement attentatoire aux droits de la défense et au principe même du secret, « pilier de notre démocratie » selon Julie Couturier, bâtonnière (élue) de Paris, cette partie de l’article 56-1-2 a disparu du projet de loi définitif à la suite d’un amendement gouvernemental.

La pertinence de distinguer défense et conseil prête à débat, y compris au sein de l’avocature. Cet épisode permet de démontrer que ces notions sont en réalité les deux facettes d’une même pièce, irrémédiablement liées. Porter atteinte à l’une d’elle a nécessairement des répercutions sur l’autre. Porter atteinte au secret en matière de conseil, porte nécessairement atteinte aux droits de la défense en cas de poursuites. L’occasion de rappeler les mots du professeur Emile Garçon : « Le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur, un défenseur, le catholique, un confesseur, mais ni le médecin, ni l'avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faîtes n'étaient assurées d'un secret inviolable. Il importe donc à l'ordre social que ces confidents nécessaires soient astreints à la discrétion et que le silence leur soit imposé, sans condition ni réserve, car personne n'oserait plus s'adresser à eux, si on pouvait craindre la divulgation du secret confié » (E. Garçon, Code pénal annoté, Sirey, 2e éd., par Rousselet (M.), Patin (M.) et Ancel (M.), t. 2, 1959).