Les traités pratiques Bailly

revisités au format numérique

Covid-19 : Ordonnances d’urgence sur la procédure civile

Publié le

Le Gouvernement vient de prendre en urgence un grand nombre d’ordonnances, comme l’y autorise la loi no 2020-290 du 23 mars 2020. Deux d’entre elles impactent le travail des professionnels (magistrats, greffiers, avocats, huissiers de justice…) en matière civile.

Il s’agit d’une part de l’ordonnance no 2020-306 du 25 mars 2020 qui édicte plusieurs règles prorogeant les délais échus pendant la période d'urgence sanitaire ; et d’autre part de l’ordonnance no 2020-304 du 25 mars 2020 qui adapte pendant cette période les règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale.

La période mentionnée par ces textes court du 12 mars 2020 jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (tel que déterminé dans les conditions de l’art. 4 de la loi no 2020-290 du 23 mars 2020 ; Ord. no 2020-306, art. ; Ord., no 2020-304).

Chacune des deux ordonnances sont explicitées par un rapport au président de la République dont certains extraits sont cités ici.

1. Ordonnance no 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures

Son article 2 prévoit un mécanisme de report de terme et d'échéance pour certaines diligences qui auraient dû être accomplies pendant la période vue plus haut. Est visé tout « acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque. »

Selon les termes de cet article, ils seront réputés avoir été faits à temps s'ils ont été effectués dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.

Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l'acquisition ou de la conservation d'un droit.

Selon le rapport au président, l'article 2 explicite le mécanisme de report de terme et d'échéance : pour les diligences visées, les délais sont prorogés à compter de la fin de cette période, pour la durée qui était légalement impartie, mais dans la limite de deux mois. Il en est de même pour les paiements prescrits par la loi ou le règlement en vue de l'acquisition ou de la conservation d'un droit.

Ainsi, précise le rapport, l'ordonnance ne prévoit pas de supprimer la réalisation de tout acte ou formalité dont le terme échoit dans la période visée ; elle permet simplement de considérer comme n'étant pas tardif l'acte réalisé dans le délai supplémentaire imparti. En outre, la précision selon laquelle sont concernés par les dispositions de cet article les actes « prescrits par la loi ou le règlement » exclut les actes prévus par des stipulations contractuelles. Le paiement des obligations contractuelles doit donc toujours avoir lieu à la date prévue par le contrat. Pour autant, les dispositions de droit commun restent applicables le cas échéant si leurs conditions sont réunies, par exemple la suspension de la prescription pour impossibilité d'agir en application de l’article 1244 du Code civil, ou encore le jeu de la force majeure prévue par l’article 1217 du Code civil.

Son article 3 fixe la liste des mesures judiciaires et administratives dont l'effet est prorogé de plein droit pour une durée de deux mois à compter de l'expiration de la période définie plus haut, dès lors que leur échéance est intervenue dans cette période, sauf si elles sont levées ou leur terme modifié par l'autorité compétente entre temps. Sont visées :

  • les mesures conservatoires, d'enquête, d'instruction, de conciliation ou de médiation ;
  • les mesures d'interdiction ou de suspension qui n'ont pas été prononcées à titre de sanction ;
  • les autorisations, permis et agréments ;
  • les mesures d'aide, d'accompagnement ou de soutien aux personnes en difficulté sociale ;
  • les mesures d'aide à la gestion du budget familial (MAGBF). Toutefois, le juge ou l'autorité compétente peut modifier ces mesures, ou y mettre fin, lorsqu'elles ont été prononcées avant le 12 mars 2020.

Son article 4 concerne les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé. Elles sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie (L. no 2020-290, art. 4). Les astreintes reprennent cours et ces clauses produisent à nouveau leurs effets à compter de l'expiration d'un délai d'un mois après la fin de cette période (si le débiteur n'a pas exécuté son obligation avant ce terme). Le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie.

Son article 5 prévoit la prolongation de deux mois après la fin de la période définie des délais pour résilier ou dénoncer une convention lorsque sa résiliation ou l'opposition à son renouvellement devait avoir lieu dans une période ou un délai qui expire durant la période définie : « Lorsqu'une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu'elle est renouvelée en l'absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s'ils expirent durant la période définie […], de deux mois après la fin de cette période. »

2. Ordonnance no 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété

Son article 2 prévoit que les dispositions de l'article 2 de l'ordonnance no 2020-306 du 25 mars 2020, vues plus haut (prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire) s'appliquent aux procédures devant les juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale sous réserve des exceptions suivantes :

  • les délais de procédure applicables devant le juge des libertés et de la détention (JLD) et devant le premier président de la cour d'appel saisi d'un appel formé contre les décisions du JLD courent selon les règles législatives et réglementaires qui leur sont applicables ;
  • les délais de procédure applicables devant les juridictions pour enfants sont adaptés dans les conditions spécifiques (art. 13 à 21) ;
  • les délais prévus en matière de saisie immobilière sont suspendus.

Sous ces réserves, les lignes de force de ce texte sont les suivantes.

2.1. Transfert de compétence territoriale (art. 3)

L'article 3 prévoit un transfert de compétence territoriale si une juridiction du premier degré est dans l'incapacité totale ou partielle de fonctionner, avec la possibilité, pour le premier président de la cour d'appel, de désigner, par ordonnance, après avis du procureur général près cette cour, des chefs de juridiction et des directeurs de greffe des juridictions concernées, une autre juridiction de même nature et du ressort de la même cour pour connaître de tout ou partie de l'activité relevant de la compétence de la juridiction empêchée.

Selon le rapport au président de la République, cette disposition permettra de pallier l'incapacité d'une juridiction de premier degré de fonctionner en cas d'empêchement de magistrats et fonctionnaires malades ou confinés, en transférant tout ou partie de son activité vers un autre tribunal de même nature.

2.2. Suppression d’audience (art. 4)

L'article 4 prévoit le cas des audiences supprimées en fixant des modalités simplifiées de renvoi des affaires et des auditions prévues à ces audiences. Ainsi, « si les parties sont assistées ou représentées par un avocat ou lorsqu'elles ont consenti à la réception des actes sur le “Portail du justiciable” du ministère de la Justice conformément à l'article 748-8 du Code de procédure civile, le greffe avise les parties du renvoi de l'affaire ou de l'audition par tout moyen, notamment électronique.Dans les autres cas, il les en avise par tout moyen, notamment par lettre simple. Si le défendeur ne comparaît pas à l'audience à laquelle l'affaire est renvoyée et n'a pas été cité à personne, la décision est rendue par défaut. »

Selon le rapport, il s’agit d’étendre les conditions dans lesquelles la décision est rendue par défaut lorsque le défendeur ne comparaît pas pour préserver les droits des défendeurs et leur assurer dans tous les cas le bénéfice du double degré de juridiction malgré ces modalités simplifiées de convocation.

2.3. Juge unique (art. 5)

L’article 5 adapte la procédure civile pour permettre autant que possible le maintien de l'activité des juridictions civiles, sociales et commerciales malgré la situation.

Il permet, si l'audience de plaidoirie, la clôture de l'instruction ou la décision de statuer selon la procédure sans audience a lieu pendant celle-ci, à la juridiction, sur décision de son président, de statuer à juge unique en première instance et en appel dans toutes les affaires qui lui sont soumises.Le juge désigné est un magistrat du siège qui n'est ni magistrat honoraire ni magistrat à titre temporaire.

Cette règle ne sera pas applicable :

  • devant le tribunal de commerce, le président du tribunal pouvant, dans toutes les affaires, décider que l'audience sera tenue par l'un des membres de la formation de jugement, le juge rendant compte au tribunal dans son délibéré ;
  • devant le conseil de prud'hommes : cette juridiction statue en formation restreinte comprenant un conseiller employeur et un conseiller salarié, qui pourra néanmoins statuer en formation restreinte de deux conseillers, l'un appartenant au collège salarié, l'autre au collège employeur.

2.4. Échange d’écritures et de pièces, débats (art. 6)

L’article 6 procède à des simplifications à cet égard. Il prévoit que :

  • les parties peuvent échanger leurs écritures et leurs pièces par tout moyen dès lors que le juge peut s'assurer du respect du contradictoire ;
  • le président de la juridiction peut décider, avant l'ouverture de l'audience, que les débats se dérouleront en publicité restreinte ;
  • en cas d'impossibilité de garantir les conditions nécessaires à la protection de la santé des personnes présentes à l'audience, les débats se tiennent en chambre du conseil ;
  • le président de la juridiction peut préciser si des journalistes peuvent assister à l'audience, y compris lorsque les débats se tiennent en chambre du conseil.

2.5. Audiences dématérialisées (art. 7)

L'article 7 prévoit la possibilité d'audiences par visioconférence. Il est ainsi rédigé : « Le juge, le président de la formation de jugement ou le juge des libertés et de la détention peut, par une décision non susceptible de recours, décider que l'audience se tiendra en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle permettant de s'assurer de l'identité des parties et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats. 

Lorsqu'une partie est assistée d'un conseil ou d'un interprète, il n'est pas requis que ce dernier soit physiquement présent auprès d'elle. »

L'impossibilité de recourir à un tel moyen est envisagée. Dans ce cas, le juge peut, par décision insusceptible de recours, décider d'entendre les parties et leurs avocats par tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique. Dans tous les cas, ce moyen doit permettre de s'assurer de leur identité et de garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges.

En tout état de cause, il revient au juge d’organiser et de conduire la procédure, d'assurer le bon déroulement des échanges entre les parties et de veiller au respect des droits de la défense et au caractère contradictoire des débats. Le greffe dresse le procès-verbal des opérations effectuées.

2.6. Procédure sans audience (art. 8)

L’article 8 prévoit que, lorsque la représentation par avocat est obligatoire ou que les parties sont représentées ou assistées par un avocat, la juridiction pourra statuer sans audience. Il en informe les parties par tout moyen.

À l'exception des référés, des procédures accélérées au fond et des procédures dans lesquelles le juge doit statuer dans un délai déterminé, les parties ont quinze jours pour s'y opposer. À défaut d'opposition, la procédure est exclusivement écrite. La communication entre les parties est faite par notification entre avocats. Il en est justifié dans les délais impartis par le juge.

2.7. Référé (art. 9)

En cas d'assignation en référé, la juridiction saisie peut rejeter la demande avant l'audience, par ordonnance non contradictoire, si la demande est irrecevable ou s'il n'y a pas lieu à référé. Selon le rapport, il s’agit d’éviter l'engorgement des audiences de référé maintenues.

2.8. Notifications des décisions (art. 10)

Les décisions rendues pourront être portées à la connaissance des parties par tout moyen, sans préjudice des règles de notification des décisions.

2.9. Prestation de serment (art. 11)

Afin de pallier la suppression des audiences, toute prestation de serment devant une juridiction peut être présentée par écrit. Elle comprend la mention manuscrite des termes de la prestation. Cet écrit est déposé auprès de la juridiction compétente qui en accuse réception.

2.10. Protection des majeurs et ordonnance de protection en cas de violences au sein de la famille (art. 12)

Les mesures de protection juridique des majeurs et les ordonnances de protection prises en application des articles 515-9 à 515-13 du Code civil, dont le terme vient à échéance au cours de la période définie, sont prorogées de plein droit jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois suivant la fin de cette période, à moins qu'il n'y ait été mis fin ou que leur terme ait été modifié par le juge compétent avant l'expiration de ce délai.

2.11. L’assistance éducative (art. 13 à 20)

« Les dispositions concernant l’assistance éducatives sont les suivantes, telles qu’explicitées par le rapport au Président et reproduites ici.

Les articles 13, 14, 15 et 18 prévoient la possibilité pour le juge, sans audition des parties et par décision motivée :

2.11.1. S'agissant des mesures en cours

  • après lecture du rapport remis par les services éducatifs, de dire qu'il n'y a plus lieu à mesure d'assistance éducative et lever une mesure judiciaire d'aide à la gestion du budget familial (article 13) ;
  • sur proposition du service, et avec l'accord écrit des parents, de renouveler, pour une durée limitée, une mesure d'assistance éducative (article 14) ;
  • si cette mesure éducative contient une interdiction de sortie de territoire, la renouveler en même temps que la mesure (article 15).

2.11.2. S'agissant des nouvelles requêtes (art. 18)

  • de dire qu'il n'y a pas lieu à ordonner une mesure d'assistance éducative ;
  • d'ordonner une mesure judiciaire d'investigation éducative ou d'expertise ;
  • d'ordonner une mesure d'accompagnement éducatif en milieu ouvert (AEMO) pour une durée qui ne peut excéder six mois.

Les articles 16 et 17 modifient les délais prévus aux articles 1184 et 1185 du Code de procédure civile sur les mesures provisoires afin de permettre l'organisation des audiences nécessaires, notamment après une ordonnance de placement provisoire et de ne pas risquer l'interruption d'une mesure de placement provisoire et un retour en famille aux risques et périls de l'enfant au motif d'un délai de procédure dépassé.

L'article 19 permet au juge de suspendre ou modifier les droits de visite et d'hébergement, sans audience et par décision motivée, le maintien des liens entre l'enfant et la famille étant conservé par tout moyen.

L'article 20 permet au juge des enfants de tenir les audiences civiles en ayant recours à un moyen de communication audiovisuelle.

L'article 21 aménage les modalités de convocation et de notification des décisions. Il aménage également les conditions de contreseing des seules décisions — suspension ou modification — des droits de visite et d'hébergement pour les enfants confiés pour la seule période de l'état d'urgence décidé afin de prendre les décisions en urgence pour garantir la sécurité des enfants, des parents et des personnels et satisfaire aux exigences liées au confinement. »